Les nourrices de Coulommes

Publié le par coulommes-et-autres-lieux-voisins.over-blog.com

Les archives anciennes ne font que rarement mention de la profession des femmes, que ce soit sous l'ancien régime, dans les registres de baptêmes, mariages et sépultures, ou après la révolution à l'occasion des recensements de population. Le plus souvent, les rédacteurs de ces documents se sont contentés de mentionner la profession ou l'état de leur mari. Seules les veuves et les célibataires se voient attribuer un métier quand elles en ont un. 

 

Il y a cependant une exception, celle des nourrices. Elles ne sont généralement pas mieux loties dans les archives les concernant personnellement, comme leur mariage, le baptême ou le mariage de leurs enfants, leur décès ou celui de leurs proches. Mais on découvre leur activité, le plus souvent indirectement, à l'occasion du décès d'un nourrisson dont elles avaient la charge. C'est un métier disparu, bien que, aujourd'hui encore, certaines femmes soient appelées nourrices. Jadis, contre rémunération, la nourrice allaitait l'enfant qui lui était confié. Elle lui donnait le sein comme à son propre enfant. Aujourd'hui, si la nourrice prend soin du nourrisson et le nourrit, elle ne l'allaite pas. 

 

001 BREBIETTE NOURRICE ORDINAIRE DE FRANCE

"Norice ordinaire de France", d'après Pierre BREBIETTE, 17° siècle,

Nancy musée des beaux arts

 

La consultation des registres paroissiaux ou d'état civil d'une petite localité comme Coulommes révèle que cette activité y tenait une place importante (comme dans toute la Brie, d'ailleurs). Dans ces registres, on relève par dizaines des mentions d'inhumation d'enfants en nourrice1. Deux tableaux, figurant en fin de cet article, listent pour l'un des nourrissons et leurs parents, pour l'autre des nourrices et leurs époux. Ils ne sont que le fruit de "sondages" dans les registres paroissiaux et d'état civil de Coulommes et ne reprennent qu'une partie des actes que l'on peut y trouver. Les premières mentions, assez dispersées (octobre 1678, mai 1679, mai 1707, octobre 1709, mai 1711...), deviennent plus fréquentes dans les années 1730. Rien n'interdit de penser que des enfants avaient été en nourrice à Coulommes avant 1678 et que certains y étaient décédés, sans que leur inhumation ait laissé de traces dans nos registres. 

 

002 Marguerite GOLAIN

 

«l'an 1679, le vendredi xii mai est décédée en bas âge Margueritte GOLAIN fille de Gilbert GOLAIN serrurier dem. à Paris Fbg St Anthoine et de Margueritte BUFFER ses père et mère, laditte deffte  estant en norice chez Mr Pierre Gutine greffier de cette paroisse, laquelle a esté inhumée ce jourd'hui sam xiii dudit mois en présence dudit Gutine et de Charles Dervau notre clerc.»

Registres paroissiaux de Coulommes. Archives départementales de Seine-et-Marne.

Le nombre très élevé de ces décès pourrait donner une image terriblement négative de cette activité. La mortalité de ces enfants était effectivement très importante, mais il faut la nuancer. En premier lieu, la mortalité infantile était très élevée en général, que ce soit celle des enfants en nourrice ou celle des enfants du village. La médecine n'avait pas encore fait les progrès dont nous bénéficions aujourd'hui. On ignorait le plus souvent les règles élémentaires d'hygiène, et bien des pratiques d'éducation relevaient de la plus noire superstition. Il faut tenir compte aussi de ce que ces registres ne mentionnent ces nourrissons qu'à l'occasion de cet ultime événement, leur décès. Leur naissance était enregistrée dans leur paroisse puis commune d'origine. Et bien sûr, nos registres ne mentionnent pas les enfants qui "survivaient" et étaient finalement rendus à leurs parents.

 

Qu'est-ce qui poussait les parents à confier ainsi à d'autres leur progéniture? Si leur profession n'était généralement pas mentionnée, de nombreuses femmes travaillaient. Certaines assistaient leur époux commerçant ou artisan et ne pouvaient pas concilier cette activité et les soins à donner à un nouveau-né. La société se pliait aussi à certaines croyances ou préjugés. Ainsi, certains répugnaient à nourrir les enfants avec le lait d'un animal parce qu'ils croyaient qu'il pouvait leur communiquer certains traits de sa bestialité. Par ailleurs, un interdit religieux prohibait tout rapport intime entre le mari et sa femme pendant la durée de l'allaitement. Enfin, on considérait que la vie à la campagne offrait aux enfants de meilleures garanties de bonne santé qu'en ville où régnaient promiscuité et saleté (pas d'égouts, pas de ramassage des ordures qui jonchaient les rues, contamination des eaux de puits, etc...). 

 

003 épicière du village

Les femmes de commerçants ou d'artisans pouvaient difficilement concilier leur activité avec l'éducation d'un enfant.

"L'épicière du village" Gérard DOU, 1647, Musée du Louvre.

 

Pour autant qu'on puisse en juger à la lecture des actes de décès des enfants, presque tous les milieux sociaux recouraient à la mise en nourrice. Dans les registres de Coulommes, bien que l'identité, la profession ou le domicile des parents soient parfois omis ou imprécis, on a tout de même une assez bonne idée de leur situation sociale et de leur origine géographique. Quand ces informations sont reprises dans les registres, c'est parce que les parents nourriciers ont reçu, avec le bébé, un certificat de baptême, "au cas où...". De plus, à partir de la promulgation d'une déclaration du roi de 1715 réglementant l'activité des nourrices, un document comportant ces indications accompagne le nouveau-né.  Parmi les mentions figurant au registre paroissial de Coulommes, on trouve plusieurs "Bourgeois de Paris", et même un "peintre et Bourgeois de Paris". Généralement, on appelait "Bourgeois de Paris" des officiers du roi (officiers, dans le sens de "titulaires d'un office", c'est à dire des fonctionnaires de justice, des finances, etc...),  mais aussi des marchands, des rentiers et autres, jouissant de privilèges attachés à leur statut. 

 

On trouve aussi de simples marchands (dont un marchand bouthonnier), des maîtres artisans ou commerçants (tonnelier, vitrier, jardinier, maréchal ferrant, orfèvre, rôtisseur et cabaretier, rôtisseur et traiteur, tailleur, chapelier, passementier, poillier,  boulanger, boucher, chaircuitier,...). En particulier, le 1er mai 1707, est inhumé Jean, âgé de six mois, fils de Nicolas Dassy et de Marie Robert, de Meaux, en nourrice chez Madeleine Damriale, femme de Jean Sautreau, vigneron à Coulommes. Nicolas Dassy est maître rôtisseur, cabaretier et hôtelier "à l'image Saint Claude", à deux pas de la cathédrale2. C'est un notable: il se voit confier par ses confrères un rôle de commissaire de sa corporation, et il acquiert une charge d'archer en la Maréchaussée de Meaux. A ses activités professionnelles, il adjoint le commerce du vin, le louage de chevaux et la vente de miel que récoltent dans ses ruches divers vignerons de Coulommes et de Penchard3. C'est sans doute pour cette raison qu'il connaît Jean Sautreau et son épouse à qui il donne en nourrice son fils Jean. Dans son ouvrage sur les Dassy, pourtant extrêmement précis et documenté, Jean-Marie Camarty ne mentionne pas cet enfant du couple Dassy, alors qu'il en cite d'autres pourtant également morts en bas âge.

 

004 Nourrissons a

 004 nourrissons b

 

Parmi les parents qui confient leurs enfants en nourrice à Coulommes, on trouve aussi des gens à la situation sans doute moins bien établie comme un maçon, un compagnon maçon, un bas officier, des jardiniers et des vignerons, un cocher, un employé, un compagnon orfèvre, etc. D'ailleurs, plus on avance dans le temps, plus le recours aux services des nourrices semble se démocratiser. En 1808, on note même le décès d'une petite Stéphanie Edmée Louise, de père inconnu et dont la mère est ouvrière... Toutes deux auraient pu inspirer Victor Hugo, Eugène Sue ou Emile Zola. Il faut noter qu'à cette exception près, la profession de la mère n'est jamais mentionnée.

 

Les parents des enfants mis en nourrice à Coulommes vivaient en très grosse majorité à Paris et dans des villages qui seront un jour absorbés par la capitale (Chaillot, Neuilly) ainsi que dans sa banlieue proche: Vincennes, Fontenay et Montreuil sous Bois. Les premières inhumations relevées concernent des enfants originaires du faubourg Saint-Antoine à Paris (1678-1679). Au 18° siècle, ils sont originaires des paroisses Saint-Sulpice et Saint-Nicolas-des-Champs, des faubourgs Saint-Germain et Saint-Martin. C'est sans doute dû à l'organisation par quartiers des préposés des bureaux de recommandaresses chargés du recrutement de nourrices dont nous en reparlerons plus loin. Mais on trouve aussi des familles de la région proche (Meaux, Boutigny, Montévrain, Bouleurs, Maisoncelles...) en particulier parmi les mentions les plus anciennes.

 

Concernant l'identité des nourrices, on n'a pas beaucoup plus d'informations que sur les mères. Généralement, seules l'identité et la profession du mari de la nourrice sont précisées (on l'appelle le nourricier). On ne s'étonnera pas de trouver souvent des vignerons et des manouvriers. Mais on rencontre aussi un "vigneron et tailleur d'habits" (Fiacre Istar en 1804) ou des maçons. Ces familles humbles trouvaient là un complément de revenu indispensable. Quand elle n'est pas mentionnée sur l'acte de décès du nourrisson, on peut retrouver l'identité des nourrices par leur acte de mariage. On retrouve souvent les mêmes noms de familles, comme si ces femmes étaient nourrices de mère en fille, ou en belle-fille: Marie Jeanne Martin née Gallois (1737), Jeanne Isambert née Gallois (1762), Marguerite Gallois, née Blutel (1761), Marie Gallois née Vaudescal (1763), Marie Blutel née Bussy (1748), Marguerite Blutel née Bauquage (1749), Marie Louise Ofroy née Blutel (1749). D'autres noms aussi, dont certains sont encore connus à Coulommes: Pestail, Ducharne, Piedeloup, Lefevre, Ancelin, Bécard, Leverbe, Fuzier... 

 

Si ces femmes allaitent l'enfant d'une autre famille c'est, naturellement, parce qu'elle ont eu elles-mêmes un enfant quelque temps auparavant. Parfois, celui-ci décède en bas âge, et elles allaitent alors seulement le nourrisson qui leur est confié. C'est le cas par exemple de Marie Massé dont la fille, Marie-Anne, née le 3 septembre 1747, décède 2 jours plus tard. Elle prend en nourrice Marie Michel qui décède chez elle le 13 avril 1748 à l'âge de 6 mois. C'est le cas aussi pour Marie Bussy dont le fils Maurice, né le 22 septembre 1747, décède le 21 mars 1748. Le 5 avril de la même année, elle assiste à l'inhumation de la petite Marie-Louise-Victoire (1 mois), de Paris, qu'elle avait en nourrice. Enfin, le 13 du même mois d'avril, elle assiste à l'inhumation du petit Estienne (2 mois), de Meaux. On peut penser qu'elle a pris le deuxième enfant en nourrice après le décès de la première, mais, compte tenu de leurs âges respectifs et de la quasi simultanéité de leurs décès, on ne peut pas exclure qu'elle les ait eu en nourrice en même temps, en dépit de l'interdiction qui leur en était faite4. Si des contrôles s'exerçaient sur l'activité des recommandaresses et des meneurs de nourrices de Paris, le placement des nourrissons de Meaux et de sa campagne était sans doute moins surveillé. Les nourrices dont les enfants survivaient nourrissaient généralement ceux-ci pendant 6 à 10 mois avant de les sevrer et de les nourrir au lait de vache5 pour réserver leur lait au nourrisson étranger.

 

005 Nourrices

 

De quoi mourraient ces nourrissons? D'après les actes d'inhumation relevés dans les registres paroissiaux, beaucoup d'enfants arrivèrent à Coulommes dès leurs premiers jours ou leurs premières semaines de vie: en 1749, une petite Marie Louise y décède à l'âge de 22 jours, en 1762, une petite Anne Marie à l'âge de 15 jours, en 1764, un petit Pierre à l'âge de 8 jours... La plupart du temps, les registres ne précisent pas la cause des décès, non seulement parce que ça n'est pas l'usage, mais aussi parce que, le plus souvent, les parents nourriciers et le curé ne le savent pas précisément. Cependant, on peut imaginer les causes de ces décès. Le jeune âge et la fragilité des nourrissons lors de leur mise en nourrice, ainsi que leur transport dans des conditions difficiles sont sans doute parmi les premières causes. En juin 1788, le curé de Coulommes inhume dans le cimetière de la paroisse, un petit Louis Capitaine, âgé de 8 jours, fils d'un marchand bonnetier de la paroisse Saint-Etienne-du-Mont à Paris6. L'enfant est décédé vers 7 heures du matin d'une violente colique chez Pierre Ducharne, cabaretier à Coulommes. Il est inhumé en présence de sa nourrice Jeanne Bouvier, femme de Louis Gaudin, demeurant à Vanry, paroisse de Jouarre, et de Nicolas Guené, marchand bonnetier à la Ferté-sous-Jouarre. Il est probable que le nouveau-né, sa nourrice et le témoin, voyageant de concert, avaient fait halte pour la nuit à Coulommes. Ce genre de précision est exceptionnel dans les registres paroissiaux de Coulommes. Les connaissances médicales de l'époque n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui, et les petites localités n'avaient ni médecin, ni sage-femme ou matrone capable de poser un diagnostic. Le plus souvent, ces actes de décès comportent la mention "mort en bas âge", comme si ce "bas âge" était en soi une cause ou une explication du décès.

 

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"Le départ de la nourrice" Jean Baptiste GREUZE. 18° siècle, musée du Louvre.

 

Bien des maladies sévissaient à l'état endémique (tuberculose) ou épidémique (grippe, choléra,...) et des affections maintenant considérées comme bénignes étaient souvent mortelles à l'époque (rougeole, appendicite...). La nourrice elle-même pouvait contaminer le nourrisson. On pense par exemple au cas de Marie Bussy citée plus haut, qui perd son fils, puis deux nourrissons en moins d'un mois. Même si la campagne était moins polluée que la capitale, l'enfant pouvait aussi se trouver soumis à des attaques infectieuses dues au contact avec des animaux, à un manque d'hygiène et de propreté dans la maison ou alentour (fumière dans la cour, puits souillés...), à la rudesse des conditions de vie, et parfois peut-être à la négligence de la nourrice et de sa famille. C'est que, très probablement, la nourrice continuait de s'occuper de la maisonnée, de son jardin et de sa basse-cour, et peut-être même, louait ses bras pour des travaux agricoles. Il pouvait alors lui arriver de confier le bébé à la garde de ses propres enfants. On ne peut pas écarter non plus l'hypothèse de mauvais traitements. Quoi qu'il en soit, il arrivait que des parents placent à Coulommes successivement plusieurs enfants. On voit ainsi Marie-Claude et Marin Priot (jardinier à Montreuil), après le décès de leur fils Marin en février 1762, confier leur autre fils Pierre en juillet 1764 à la femme de Louis Ancelin. La plupart des décès intervient avant l'âge d'un an. L'âge moyen au jour du décès est de 5 mois, mais on note le décès d'un enfant à l'âge de 8 jours, un autre à 10 jours, d'autres encore à 15 jours. L'enfant le plus âgé décède à 18 mois.

 

L'encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751-1765) détaille ce qui, pour l'époque, caractérisait une bonne nourrice:

«Les nourrices. Les conditions nécessaires à une bonne nourrice se tirent ordinairement de son âge, du tems qu'elle est accouchée, de la constitution de son corps, particulierement de ses mamelles, de la nature de son lait, & enfin de ses moeurs.

 

L'âge le plus convenable d'une nourrice est depuis vingt à vingt-cinq ans jusqu'à trente-cinq à quarante. Pour le tems dans lequel elle est accouchée, on doit préférer un lait nouveau de quinze ou vingt jours à celui de trois ou quatre mois. La bonne constitution de son corps est une chose des plus essentielles. Il faut nécessairement qu'elle soit saine, d'une santé ferme & d'un bon tempérament ; ni trop grasse, ni trop maigre. Ses mamelles doivent être entieres, sans cicatrices, médiocrement fermes & charnues, assez amples pour contenir une suffisante quantité de lait, sans être néanmoins grosses avec excès. Les bouts des mamelles ne doivent point être trop gros, durs, calleux, enfoncés ; il faut au contraire qu'ils soient un peu élevés, de grosseur & fermeté médiocre, bien percés de plusieurs trous afin que l'enfant n'ait point trop de peine en les suçant & les pressant avec sa bouche. Son lait ne doit être ni trop aqueux, ni trop épais, s'épanchant doucement à proportion qu'on incline la main, laissant la place d'où il s'écoule un peu teinte. Il doit être très-blanc de couleur, de saveur douce & sucrée, sans aucun goût étrange à celui du lait. Enfin, outre les moeurs requises dans la nourrice, il faut qu'elle soit vigilante, sage, prudente, douce, joyeuse, gaie, sobre, & modérée dans son penchant à l'amour.

La nourrice qui aura toutes ou la plus grande partie des conditions dont nous venons de parler, sera très-capable de donner une excellente nourriture à l'enfant qui lui sera confié. Il est sur-tout important qu'elle soit exempte de toutes tristes maladies qui peuvent se communiquer à l'enfant. On ne voit que trop d'exemples de la communication de ces maladies de la nourrice à l'enfant. On a vu des villages entiers infectés du virus vénérien que quelques nourrices malades avoient communiqué en donnant à d'autres femmes leurs enfans à alaiter.»

 

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"L'adieu à la nourrice". Etienne AUBRY. 18° siècle.

 

Les nourrices ne pouvaient s'occuper que d'un nourrisson à la fois: «Faisons défense aux nourrices d'avoir en même temps deux nourrissons, à peine du fouet contre la nourrice, et de 50 livres d'amende contre le mari, et d'être privés du salaire qui leur sera dû pour les nourritures de l'un et l'autre enfant»7. C'est que l'activité de nourrice était réglementée, principalement par une déclaration du roi du 29 janvier 1715. Le recours aux nourrices était devenu si important que les autorités furent amenées très tôt à légiférer et à réglementer cette activité, du moins pour Paris, qui était la principale pourvoyeuse de nourrissons pour les femmes de notre région. La déclaration du roi citée plus haut prévoyait que figurent sur un registre8 «le nom, l'âge, le pays et la paroisse de la nourrice, la profession de son mari, l'âge de l'enfant dont elle est accouchée, s'il est vivant ou s'il est mort, le tout justifié par un certificat du curé de la paroisse, qui doit d'ailleurs rendre témoignage des mœurs et religion de la nourrice, sil elle est veuve ou mariée et si elle n'a point d'autre nourrisson.»

 

Le rôle des curés ne s'arrêtait pas là. Eux-mêmes ou, à défaut leurs vicaires, les desservants, les marguilliers de fabrique ou les syndics de paroisses étaient tenus de viser le registre des meneurs et meneuses d'enfants lors de la visite de ceux-ci et de viser l'attestation de paiement aux nourrices.

 

Ces réglementations concernaient aussi les recommandaresses. On appelait ainsi des femmes qui se chargeaient de recruter les nourrices Au début du 18° siècle, il existait à Paris, sous l'autorité et le contrôle du Lieutenant Général de Police, quatre bureaux de recommandaresses. Leur activité était réglementée par des déclarations du roi du 29 janvier 1715, du 1er mars 1727 et 2 juillet 17699. Elles devaient pouvoir loger les nourrices, du moins jusqu'à ce que celles-ci regagnent leur paroisse avec le nourrisson qui leur était confié. Elles étaient chargées d'encaisser auprès des parents les sommes dues aux nourrices et de les leur reverser.  Pour ce faire, elles recouraient à des préposés organisés par quartiers de Paris et de sa banlieue. Elles étaient elles-mêmes rémunérées par les parents à raison de 30 sous par nourrisson qu'elles confiaient à une nourrice.

 

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"Jeune femme allaitant son enfant". d'après François BOUCHER. 18° siècle,

Nancy, musée des beaux arts.

 

Un meneur (ou une meneuse) de nourrices se chargeait d'amener des nourrices au bureau des recommandaresses et de mener des enfants chez des nourrices. Cette profession se confondait parfois avec celle de meneur d'enfants. On appelait ainsi des individus qui se chargeaient de conduire contre rétribution des enfants abandonnés jusqu'à l'Hôpital des Enfants Trouvés de Paris, et de là chez des nourrices. S'agissant d'enfants abandonnés, les meneurs ne prenaient qu'un minimum de précautions, et ils avaient une très mauvaise réputation: «C’est un homme qui apporte sur son dos des enfants nouveaux-nés, dans une boite matelassée qui peut en contenir trois. Ils sont debout dans leur maillot, respirant l’air par en haut. L’homme ne s’arrête que pour prendre ses repas et leur faire sucer un peu de lait. Quand il ouvre sa boîte, il en trouve souvent un de mort, il achève le voyage avec les deux autres, impatient de se débarrasser de ce dépôt. Quand il l’a confié à l’hôpital, il repart sur le champ pour recommencer le même emploi, qui est son gagne pain»10

 

009 GREUZE LE DEPART DE LA NOURRICE

"Le départ de la nourrice". Jean-Baptiste GREUZE. 18° siècle, musée du Louvre.

 

Très contrôlés et surveillés, placés sous l'autorité du Lieutenant Général de police, les meneurs de nourrices ne pouvaient exercer que sous le contrôle d'un bureau de recommandaresses, auxquelles ils devaient rendre des comptes, tout comme aux parents. Ils se chargeaient aussi d'encaisser chez les parents les sommes dues aux nourrices, jusqu'à ce que la déclaration du roi du 2 juillet 1769 confie cette mission aux préposés dépendant des recommandaresses. Le meneur de nourrices devait justifier de ses bonnes vie et mœurs par une attestation de son curé. Il ne devait mener des enfants que chez des nourrices inscrites au bureau des recommandaresses, et devait s'assurer que les enfants étaient baptisés. Il ne pouvait emmener un enfant qu'accompagné de sa nourrice. Il était en outre chargé de visiter les nourrices, de leur transmettre les ordres des parents, de leur payer les mois d'allaitement, de rendre compte de l'état des nourrissons aux parents, de transmettre à ceux-ci les demandes des nourrices "pour les hardes" et les autres besoins des enfants11. Il était payé par les parents à raison du sou pour livre (5% des sommes versées à la nourrice). Si un enfant mourait en chemin, il devait en faire la déclaration au premier juge ou au curé du village le plus proche et en obtenir un certificat qu'il devait transmettre aux parents. Les conditions de transport continuent cependant de mettre en péril la vie des enfants. Une ordonnance de police du 19 novembre 1773 impose aux meneurs «de se servir de voitures bien conditionnées, dont le fond soit en planches suffisamment garnies de paille neuve, les ridelles exactement close par des planches bien assemblées ou par des nattes de paille ou d'osier toujours entretenues en bon état, et de couvrir leurs voitures avec une bonne toile bien tendue sur des cerceaux et assez grande pour envelopper les bouts et les côtés […] des nourrices assises sur des bancs suspendus au devant et au derrière de la voiture avec des cordes ou des courroies solidement attachées, afin que les nourrices soient à portée de veiller aux besoins des nourrissons et de prévenir les accidents auxquels ils pourraient être exposés sur la route»12.

 

En plus des comptes rendus  sur l'état de santé des nourrissons que les meneurs devaient faire aux parents, des inspecteurs de tournées étaient chargés de visiter les nourrissons.

 

010 Jean-Honoré Fragonard - Visite à la nourrice

"Visite à la nourrice". Jean-Honoré FRAGONNARD. 1775.

National Gallery of Art, Washington DC.

 

Les peines encourues par les nourrices en cas de manquement s'appliquaient de la même manière aux recommandaresses et aux meneurs: amendes de 50 livres et peines corporelles.

 

Vers le milieu du 19° siècle, les mentions de ces décès d'enfants en nourrice se raréfient, probablement parce qu'il en meurt moins grâce aux progrès de la médecine, mais aussi parce qu'il y en a moins en nourrice à Coulommes (les mentalités changent et on confie moins volontiers son enfant à une autre femme). La réputation et le succès des nourrices morvandelles n'y sont peut-être pas non plus étrangers. Avec le développement du chemin de fer, le Morvan s'est "rapproché" de Paris et les nourrices de cette région n'hésitent plus à faire le trajet pour se louer directement au domicile des parents.

 

011 carte-postale-rameau-nourrice b

 

1. Archives départementales de Seine-et-Marne. Registres paroissiaux et d'état civil de Coulommes. Série 5Mi2929 à 2946

2. Jean-Marie Camarty. Les Dassy, chronique d'une famille meldoise, 16°-20° siècle. Meaux.1999. page 191.

3. Jean-Marie Camarty. Ibidem.

4. Micheline BAULANT évoque longuement Marie BUSSY dans un article paru en 1995 dans le bulletin de la Société Littéraire et Historique de la Brie. En effet, devenue veuve, Marie BUSSY devint la 5° épouse de François DENIS, "l'homme qui eut six femmes."

5. Micheline Baulant. L'enfant de Brie avec ou sans famille, 17°-18° siècles. Société Littéraire et Historique de la Brie. 1989. page 46.

6. Registres paroissiaux de Coulommes. Archives départementales de Seine-et-Marne.

7. déclaration du roi du 29 janvier 1915. Comte Merlin. Répertoire universel et raisonné de jurisprudence. Paris. 1815

8. M. Guyot. Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficielle. Paris. 1784. page 242 et s.

9. Comte Merlin. Répertoire universel et raisonné de jurisprudence. Paris. 1815. page 51 et s.

10. Louis-Sébastien Mercier. Le tableau de Paris. La Haye. 1781.

11. déclaration royale du 2 juillet 1769.

12. Alfred Franklin. Dictionnaire historique des arts, métiers et professions. Paris 1906. page 476.

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